mardi 29 mai 2007

Questions réponses, Raphaël Charpentié/Jeong Kiyeop

R : Pourquoi as-tu voulu travailler avec le son ?

K : J’aime toutes les musiques du monde, de toutes les époques, j’ai eu envie d’introduire le son dans mon travail. Le son est une passerelle directe vers les émotions, il touche plus profondément que l’image. J’ai voulu produire le son sans faire d’installation, d’objet « artistiques » dans le sens traditionnel du terme. Je me suis beaucoup intéressé au soundart, ou l’on souligne beaucoup les mises en scènes, la création d’espaces sonores. En fait,je voulais travailler sur une édition cd-r, qui est pour moi une forme très libre, qui permet de faire exister une pièce sonore dès qu’il y a une paire d’enceintes et une lecteur cd.

K : Qu’est ce qui t’intéresse dans le sanglier ?

R : C’est ce que j’ai projeté au-delà de la représentation, des symboles représentés par le sanglier. Déjà, d’un point de vue physiologique, le sanglier est un animal formidable, avec une capacité d’adaptation incroyable. Il survit sous tous les climats tempérés, trouve toujours une source de nourriture qui lui convient. Ces aptitudes là, ainsi que son code génétique qui est très proche du notre en font un animal qui nous ressemble. Il reste sauvage, il est opposé à son cousin le porc domestique, il représente la force brute de la nature contemporaine dans le monde occidental. C’est dans ces écarts là, à la fois très proche et très loin de nous qu’il représente assez bien l’humanité, dans l’amplitude des comportements que nous pouvons avoir.
C’est dans les paysages entre ville et campagne que j’ai trouvé le meitueji, dans cette nature qui pousse malgré toutes les agressions qu’elle subit. Je trouve qu’il y a une vraie force là-dedans, parfois beaucoup plus émouvante que les grands territoires sauvages et inhabités.

K : Oui, je me sens plus cochon que meitueji, j’ai oublié d’être sauvage, naturel, j’ai été domestiqué, nous nous sommes nous-mêmes domestiqués, sans pour autant arriver à perdre l’animalité qui réside au fond de nous.

R : A quel moment as-tu trouvé « l’envie de faire du son » ?

K : J’ai eu beaucoup d’hésitations pendant les premiers mois. Comment j’aurai pu faire le lien entre moi, le sanglier, du moins, l’idée que l’on s’en faisait, et le son. Mais un jour, j’ai voulu exprimer le « meitueji » dans mon cœur, dans mes sentiments, le faire sortir de moi-même,le sauvage, le naturel, parfois fort, violent, et j’ai commencé à trouver une manière d’exprimer le meitueji avec le son.

K : Tu as déjà beaucoup travaillé avec le son, comment tu produits tes sons, quelle grammaire sonore utilises- tu ?

R : D’abord, il faut un besoin, une envie, une nécessité. Cette nécessité je la trouve à la fois dans une sorte de « wanabeeisme » musical, et dans le jeu, dans le besoin de jouer, comme un enfant.
Pour moi, le wanabeeisme musical c’est une sorte d’énergie qui viens de la frustration de n’avoir jamais été musicien, c’est vraiment lié à l’adolescence, ensuite, le jeu, dans le sens des jeux et des univers qu’inventent les enfants me permet justement de passer au-delà de l’aspect négatif de cette « frustration », pour en faire quelque chose. C’est aussi une position qui me permet d’être très libre, et d’adopter de multiples attitudes.

K : C'est-à-dire que tu suis tes sentiments de manière instinctive ?

R : Oui, c’est exactement ça. Je suis toujours dans un rapport identitaire à ce que j’écoute.
Pour moi, chaque style de musique a des auditeurs qui se ressemblent plus ou moins, qui partagent des sentiments assez similaires. Je ne fais que m’immiscer dans ces sphères, et j’essaie de reproduire tant bien que mal ce que « j’entends » dans ma tête, à propos de tel ou tel style de musique.

K : Dans quel univers classes tu le projet meitueji ?

R : Le projet Meitueji est un petit peu différent, dans le sens ou j’ai convoqué plusieurs « univers ». Les musiques improvisées, la musique contemporaine, la musique expérimentale, le rock extrême.

R : Et pour toi, a quel univers sonore appartient meitueji ?

K : Je n’ai pas envie de définir ce projet par rapport à la musique qui existe déjà. J’adore le rock des seventies, le rock progressif, et aussi le hard rock et le heavy des années 80. J’aime aussi les musiques brutales, fortes, qui font mal aux oreilles ! Pour moi, le meitueji se trouve dans ces univers sonores.

R : Tu t’es inspiré de ces musiques quand tu as composé les différents moments de la pièce sonore ?

K : Oui, j’ai consulté mon disque dur, j’ai écouté beaucoup de musiques différentes, et je me suis demandé comment je pouvais créer mes propres sons avec l’ordinateur… J’ai cherché des sons qui me plaisaient dans des enregistrements, des morceaux de musique... En les superposant, en les traitants avec des effets, dans une démarche vraiment expérimentale, j’ai fini par trouver des sons et des tessitures qui me plaisaient. En fait, tout cela c’est joué aussi de manière assez instinctive, c’était comme une chasse. Pour la dernière partie, j’ai réinterprété le canon de Pachelbell, qui était déjà interprété au gayageum, un instrument à corde traditionnel en Corée, puis je l’ai passé au travers de filtres jusqu'à ôter toute mélodie, pour qu’il ne reste plus qu’un rythme, martelé par des fréquences que l’oreille n’entend pas sur l’enregistrement initial.

R : Penses-tu continuer à utiliser le son dans ton travail ?

K : Bien sûr, maintenant, je peux manipuler le son, et je voudrais bien réaliser des installations sonores, en cherchant à matérialiser la vibration du son.